thématique
émission radiophonique publique
Handicaps et Enseignements artistiques
au Conservatoire
Geneviève PERNIN # référente handicap et artiste pédagogue au sein du Conservatoire du Grand Besançon Métropole invite Alain GOUDARD # chef de chœur, chef d’orchestre et compositeur notamment connu par son action pour la démocratisation de la création musicale auprès de publics qui sont le plus souvent exclus des pratiques artistiques. Il est le fondateur et directeur artistique, depuis 1987, de la structure associative Résonance Contemporaine qui intègre Les Percussions de Treffort et l’Ensemble Les Six Voix Solistes.
REPLAY de l’émission radiophonique
Thématique de l’EMISSION RADIO
Sujets : les enjeux liés à l’accueil des personnes en situation de handicap dans les environnements culturels / la question de la pratique artistique pour ces publics / partage de retours d’expérience / réponses aux questions posées par le public présent.
Comment est née cette rencontre ?
« D’une envie ! D’une envie d’échange, de partage. J’ai découvert Alain Goudard et son travail via internet et ce que j’y ai lu m’a donné envie de le contacter. Nos questionnements et centres d’intérêts se sont rapidement accordés. Sa proposition de produire une émission radio en public au Conservatoire m’a enthousiasmée : originale, généreuse, traitant de la question de l’enseignement artistique pour tous… Je vous invite très chaleureusement à nous rejoindre, pour un temps d’échange riche et bienveillant ! » Geneviève Pernin
Émission avec : Alain Goudard – modérateur / Matthieu Delanoë – étudiant en trompette au Conservatoire / Violette Richard – élève en violon au Conservatoire / Jean-Yves Richard – enseignant de saxophone au Conservatoire / Lylian Leuba - Directeur à l’Association d’Hygiène Sociale de Franche-Comté, d’établissements et services médico-sociaux accompagnant des enfants en situation de handicap, notamment pour des enfants déficients intellectuels ou ayant des troubles du spectre autistique / Fabienne Le Moing – parent d’élève inscrit au Conservatoire / Geneviève Pernin – danseuse-chorégraphe et référente handicap au Conservatoire / Arnaud Peruta – Directeur du Conservatoire de Grand Besançon Métropole.
EVENEMENT : mer. 17 NOV. 2021 – 19h / entrée libre
Podcast de l’émission sur RADIO-B.FR
interview
entre Geneviève PERNIN et Alain GOUDARD
Geneviève # Votre parcours artistique est très riche ! vous êtes musicien, chef, pédagogue, directeur de structures, formateur, modérateuR, ETC.
Racontez-nous votre parcours, les moments clefs, les changements importants !
ALAIN # Parce qu’il nous modifie, le chemin en train de se faire, hier comme aujourd’hui, est le plus important. Ce mouvement permanent, qui fait que nous ne sommes jamais vraiment là où l’on nous attend, voilà le plus important.
Il ne s’agit pas de dire que je suis sur le bon chemin, que je détiens je ne sais quelle vérité, non ! Ce cheminement est accompagné de multiples questionnements, qui motivent tour à tour notre envie de marcher, marcher encore, d’aller plus loin, d’oser d’autres trajectoires. J’accepte, tout comme mes collaborateurs, de m’exposer ainsi à des impressions, des événements imprévus qui peuvent déranger, troubler le confort intellectuel.
Ce collectif que constituent les Percussions de Treffort, les Six Voix Solistes, Le Trio de Poésie Action, Résonance Contemporaine me procure, nous procure la capacité d’affronter l’inconnu.
« L’esprit de la marche suppose un renoncement aux abris, aux voilages, aux camisoles. » Pierre Sansot
De même, les réflexions, les partages d’expériences, la confrontation des idées, des points de vue, les lectures partagées, les regards de certains philosophes nous aident à entreprendre, à poursuivre cet élan, ce parcours.
« Ce qui compte, c’est la trajectoire, le chemin, la traversée, en un mot l’expérience. L’expérience est alors la méthode, non pas un système de règles ou de normes techniques pour surveiller une expérimentation, mais le chemin en train de se faire, le frayage de la route. » Jacques Derrida
Mon chemin m’a permis ainsi de croiser la route de certains artistes tels que Carlo Rizzo, Barre Philips, Michel Doneda, Steve Waring Michel Boiton… de me glisser dans les pas de Gérard Authelain, les Percussions de Strasbourg, Rachid Safir, Louis Sclavis, Geneviève Sorin, Kilina Cremona… de partager des moments forts avec Michèle Bernard Laurent Vichard, Pascale Amiot, Baudouin De Jaer, Laura Tejeda, Bartolome Ferrando, Shanghai Ensemble Percussion… de m’aventurer dans la création d’œuvres de nombreux compositeurs, François Rossé, Lucien Guérinel, Jean-René Combes-Damien, Alessandro Magini, Alessandro Solbiati, Karl Naëgelen, Pascal Berne…
Peut-être que les propos de Jacques Rancière peuvent aussi une manière de répondre à cette question :
« C’est toujours autour de rencontres, de croisements, de fractures, que se produisent des subjectivations égalitaires, c’est-à-dire là où des êtres parlants se mettent à parler autrement ce que ce que l’on attend d’eux. » Jacques Rancière
GENEVIève # La rencontre avec des publics différents et l’envie, le besoin, l’évidence à partager des moments de pratique et de création avec eux…
Comment vous en êtes arrivé là ?
par une volonté clairement identifiée dès le début de votre vie de musicien ?
par une rencontre ? par un hasard ? par une commande/demande ?
ALAIN # Tout au long de ces années, dès que l’on évoquait l’aventure musicale des Percussions de Treffort, j’ai entendu la question : « Qu’est-ce qui vous a conduit à faire de la musique avec des personnes en situation de handicap ? » Cela a été toujours pour moi une question un peu étrange.
Etrange parce que elle ne s’est jamais posée véritablement comme cela et qu’elle ne relève pas d’un fait exceptionnel, d’un attrait particulier, mais plutôt de l’évidence. S’ouvrir aux sons, à la matière sonore, à la musique, aux pratiques musicales, s’aventurer sur les chemins de l’invention, de l’improvisation, de la création, avec timidité et assurance à la fois, évidence et incertitude, c’est oser aller à la rencontre de soi-même, se chercher, se retrouver, se perdre.
C’est aussi aller à la rencontre de l’autre, des autres. Cette aventure avec Résonance Contemporaine, l’Ensemble des Six Voix Solistes, les Percussions de Treffort résulte du fait que j’ai eu la chance de trouver des personnes, handicapées ou non qui, elles aussi, aspiraient à des terres inconnues.
Ces rencontres ont eu lieu parce que ces gens, ces personnes m’ont d’abord touché humainement, ému, avant de me toucher artistiquement.
Et à partir de là, on a senti qu’on avait un chemin à faire ensemble, sans savoir ce que serait ce chemin, ni lequel prendre vraiment, mais un chemin qui allait au fur et à mesure nourrir ce collectif et lui permettre de libérer son envie de faire, de faire vivre, d’oser.
Si ces rencontres ont pu avoir lieu, c’est aussi qu’à un moment donné il y a eu, dans mon parcours de chanteur professionnel, pendant une douzaine d’années, des expériences au cours desquelles j’ai expérimenté de manière plus ou moins difficile la cruauté des rapports entre les professionnels du monde artistique et l’entre-soi de celui-ci, la place du pouvoir, les formes d’autoritarisme, de hiérarchie. Ces notions primaient essentiellement sur celles de l’écoute et du partage. D’où ces interrogations très fortes qui contribuèrent à m’éloigner de plus en plus de pratiques pour lesquelles je ne n’étais pas fait.
Fallait-il poursuivre dans ces cadres, là ? N’y avait-il que cette manière d’envisager les choses ? Un autre chemin était-il possible ? Etait-ce une utopie ?
Le besoin de sortir de ce milieu spécifique m’a amené à affirmer de plus en plus la nécessité d’un espace pour réfléchir, et (…) mettre en œuvre des modalités de travail en plaçant l’humain et le commun au cœur de cette recherche.
En fait, je me retrouve bien dans les propos de Peter Brook pour qui « chercher exige le départ ». Il poursuit en affirmant que « pour chercher il faut sortir du contexte, car sinon ses critères, de même que ses valeurs, deviennent les vôtres. Le contexte contamine l’artiste. »
Oser quitter ce milieu, oser s’aventurer ce n’est bien sûr pas facile, voire difficile, mais c’est ce qui m’a permis véritablement de trouver ma place, de comprendre progressivement le sens de « s’engager en musique ». Cette nouvelle dynamique a été possible également grâce à d’autres rencontres, des personnes dans la même quête ou déjà engagées sur ces chemins : elles ont éclairé, accompagné, guidé mes pas. Elles m’ont permis de saisir l’extrême importance de ne pas porter un regard réducteur sur la personne. En effet, on a tendance à percevoir chaque individu uniquement à travers sa dimension situationnelle, statutaire, occultant bien souvent toute la dimension personnelle de celle-ci. Apprendre à regarder, à découvrir l’autre dans toute sa multiplicité nécessite d’apprendre ce que veut dire écouter l’autre. Et c’est bien la qualité de cette écoute réciproque qui va permettre la rencontre et le faire ensemble. Quarante-deux années plus tard, je me dis qu’il faut toujours, et encore plus, aujourd’hui, se méfier des habitudes qui pourraient banaliser le regard sur l’autre et nous faire baisser la garde. Ouvrir toujours de nouvelles pages tant qu’il y a le désir de faire individuellement et collectivement.
La musique est avant tout un point de rencontre, de partage avec l’autre, et aussi un espace pour chercher à apprendre, à connaître ce que nous sommes. C’est une quête permanente dans laquelle l’autre, les autres nous sont indispensables.
geneviève # D’une éventuelle pédagogie spécifique à la création…
Pensez-vous que pour ces publics dits « différents », une pédagogie différente doit-être mise en place ?
N’est-ce pas le propre de la pédagogie de s’adapter à chaque public ?
Comment passer et arriver à un acte créatif ?
Est-il dissociable d’un travail pédagogique ? Est-ce un prolongement ? Autre chose ?
ALAIN # La question première me semble être : que nous arrive-t-il quand l’autre arrive ? C’est Marie-José Mondzain qui formule ainsi les choses, mais celle-ci me semble être le point de départ, comme la question du comment être ensemble à plusieurs. En l’être ensemble est déjà là quel qu’il soit. Le « être » avec, être là avec, ensemble, font partie des conditions de possibilité et de nécessité de l’existence humaine. C’est-à-dire que l’existence est d’emblée une co-existence, co-présence, une co-habitation. Donc, comment être ensemble à plusieurs ?
La création, les démarches artistiques constituent un espace dans lequel peut s’expérimenter, se vivre, ce « comment être ensemble à plusieurs ». La communauté signifie, par conséquent, qu’il n’y a pas d’être singulier sans un autre être singulier.
Il me semble important de prendre appui sur cette idée que, toute relation suppose la rencontre de différences. A partir de là, les identités se construisent sur les contacts qu’elles nouent avec du différent et elle se transforme au gré des échanges, que l’on soit une personne en situation de handicap ou pas. Ce n’est donc pas le handicap qui est au cœur du sujet, mais bien l’individu, la personne singulière : Chacun se nourrit de l’autre qui offre des résonances et des prolongements. La différence se pense par les capacités d’échange.
Que nous arrive-t-il quand tout autre arrive ? C’est cultiver nos capacités d’accueillir ce qui ne vient pas de moi, mais d’ailleurs ! Cela suppose l’écoute de l’autre, le désir d’entendre ce que sa parole porte d’élan et même d’inouï et d’inaperçu. Dialoguer, c’est explorer, s’exposer à une désorientation de sorte que du sens nouveau puisse émerger de ce qui le recouvre encore.
Ce qui est en jeu, c’est que toute personne puisse concevoir sa dignité d’homme, prendre la mesure de sa capacité intellectuelle et décider de son usage. Chaque personne doit être un individu en marche, qui va voir, expérimente, change sa pratique, vérifie son savoir, et ainsi sans fin. Les pratiques artistiques, la création, l’improvisation, la rencontre avec des œuvres du passé et du présent, de cultures différentes contribuent en elles-mêmes à mettre en « branle » le pensé de l’individu.
C’est pourquoi, suivant comment on envisage la place et le rôle de l’art dans notre société, on peut concevoir et soutenir que les pratiques artistiques nous engagent à tendre l’oreille vers ce qui ne s’entend pas pour rendre audible l’inaudible, pour accueillir toutes les capacités parlantes.
« Etre-avec » : c’est s’exposer les uns aux autres, les uns par les autres. Il s’agit de cultiver notre capacité d’accueillir ce qui ne vient pas de soi, mais d’ailleurs. C’est-à-dire se nourrir de l’inconnu, de l’imprévisible, de l’inattendu, ou pour le dire encore autrement et en faisant appel à Emmanuel Levinas « rencontrer un homme, c’est être tenu en éveil par une énigme ». Il me semble qu’il n’y a pas une pratique artistique spécifique pour un public spécifique, une musique spécifique mais bien cette prise de conscience de « que nous arrive-t-il quand l’autre arrive ? »
« L’arrivée de l’autre, de l’étranger est pur événement, une surprise. Celui qui arrive n’est pas celui qu’on attend et pourtant c’est celui qui à notre insu nous manquait. Cela nous renvoie à la notion d’hospitalité où l’art de recevoir n’est autre que l’art d’accueillir, d’accepter comme un don ce qui l’instant d’avant étant encore absent. » Marie-José Mondzain
geneviève # Vous associez dans Les Percussions de Treffort, ensemble que vous dirigez, des musiciens en situation de handicap et des valides
Comment cela se passe-t-il, sur les temps de répétitions, sur les spectacles, les tournées ? Quels sont les échanges bénéfiques qui s’opèrent entre tous les musiciens ? Quelles sont les difficultés ? Les réactions du public ? Les vôtres ? cela a-t-il changé votre façon de diriger, de créer, de transmettre… ?
ALAIN # Comment faire pour que des personnes très diverses, avec leur singularité, leur histoire, puissent se rencontrer, oser ensemble, donner naissance à un commun dans lequel chacun(e) pourrait se reconnaître ? Ce questionnement, cette problématique est tout autant présente, hier comme aujourd’hui. Il s’agit de faire ensemble, de fabriquer la musique ensemble. Dans chacun de nos projets ou créations nous cherchons à favoriser, valoriser, provoquer ce brassage, ce être avec, faire avec et cela sous de multiples formes. En effet, il apparaît de manière très lisible que c’est bien dans l’association, le mélange, le croisement, l’enchevêtrement, la complémentarité, le brassage des compétences entre personnes en situation de handicap et personnes « valides » que le décloisonnement, la rencontre, le développement des compétences, l’ouverture, l’acceptation par le milieu culturel, et enfin la reconnaissance, peuvent exister.
Les lieux de l’art représentent des espaces et des lieux, dans lesquels une redistribution des rôles, des places, une redistribution des compétences peuvent tout à fait prendre place. À travers l’art et les pratiques artistiques, c’est la possibilité de maintenir des espaces de jeu, de libérer les capacités d’invention. L’art provoque des déplacements, bouscule les frontières, questionne nos modes de perception et conduit à redéfinir des capacités d’action. Les rencontres authentiques qu’il nous procure, nous modifie, nous aide à être, à exister.
Geneviève # La place du corps : en tant que danseuse et chorégraphe, « le corps » est mon sujet préféré…Qu’en est-il du corps des musiciens ? faites-vous un travail particulier dans ce sens auprès de vos musiciens ? Pour vous-même ?
ALAIN # Oui, le corps depuis le début de notre aventure humaine et musicale, tient une place importante dans notre travail. En effet, chaque son, chaque instrument appelle sa gestuelle, sa “danse primitive” particulière, et chacune de ces gestuelles et de ces danses demande à s’accorder, à se coordonner physiquement. La musique, est une expérience avec son corps, avec ses maladresses, avec son agilité. C’est à la fois une discipline du corps, et une libération du corps. Au fur et à mesure des années les corps des musiciens se sont transformés peu à peu : les gestes maladroits, petits, les corps contraints, serrés, fermés se sont ouverts. Ils ont gagné en souplesse, en confiance et en sérénité, les corps ont gagné en beauté.
Des rencontres avec des chorégraphes et créations sont venues développer des prises de conscience et ouvrir d’autres possibles. Comment se fait-il que je bouge ? Qu’est ce qui me fait bouger ? Qu’est-ce que le mouvement signifie pour moi, sinon pour d’autres ? Le travail avec Geneviève Serin, Kilina Cremona, mêlant danseurs et musiciens, où avec Véronique Gougeat expérimentant et découvrant d’autres sensations corporelles en appréhendant l’univers des agrès.
Depuis plusieurs années nous avons mis en place, à l’intention des musiciens, un atelier régulier, mouvement et danse, et il tient une place particulière et importante dans le travail de fond que nous conduisons pour et avec les membres des Percussions de Treffort.
« La musique me fait de la joie et de la danse, le tambour fait vibrer mon esprit, la musique je la sens dans mon cœur » Raymond Bettineschi, Percussions de Treffort. Raymond cherche des mots, en invente pour raconter son expérience avec la musique. Elle trouve pour lui, dès le début de sa pratique, sa raison d’être fondamentalement dans son corps et ses émotions.
Pour un autre de ces musiciens, Pierre Bourgeois, « La musique après le travail ça me détendait le corps et puis ça me développait mes gestes, main droite, main gauche, et puis les yeux… ». Pour Daniel Gruel,« Les peaux, les cymbales, çà me faisait un drôle d’effet dans mon corps, une drôle d’impression agréable. Cà me faisait comme changer mon corps. »
La réflexion du philosophe Jean-Luc Nancy prend tout son sens :
« Les corps sont des lieux d’existence et il n’y a pas d’existence sans lieu, sans là, sans un ici. » Jean-Luc Nancy
(Fin de citation)
relation épistolaire – 18 OCT. 2021
G. PERNIN / A. GOUDARD
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